LA PSYCHANALYSE DES CONTES DE FEES

Publié le par Aurore A.

Bruno Bettelheim dans son livre de 1975 a étudié 71 contes tirés surtout de Grimm et d’Andersen. La plupart décrivent la sortie du complexe d’Oedipe. Les désirs incestueux peuvent être dépassés  s’ils restent de simples désirs, tout en sachant que l’on peut à la fois vouloir tuer l’autre parent et l’aimer quand même.


- La Belle aux cheveux d’or est une variante de Tristan et Yseult sans l’amour maudit. Il est possible de quitter l’amour envers l’homme âgé pour épouser le jeune. Avenant, le héros, sort vainqueur des trois épreuves pour avoir sauvé une carpe (descente dans l’inconscient), un corbeau (victoire sur l’agressivité) et un hibou (l’intuition qui voit clair dans la grotte ténébreuse).


- La Belle et la Bête pré­sente l’Oedipe féminin : la Belle se dévoue d’abord pour son père et lorsqu’elle se décide à aimer enfin la Bête, elle la change en un beau jeune homme.


- La Chatte blanche est la version masculine de La Belle et la Bête.  Le héros rencontre une chatte et leur amour progressif lui rend sa forme humaine en la faisant échap­per à la haine de sa mère.

- Gracieuse et Per­cinet expose les épreuves de l’amour qui de­mande de tout quitter pour l’homme qu’on aime, surtout la lutte contre la mauvaise mère persécutrice.


- Serpent vert, sur le même thème, expose la lutte des sexes, l’héroïne devra quit­ter son attirance envers le monde des femmes pour trouver beau celui des hommes, en échappant à la misovirie.


- L’Oiseau bleu montre aussi comment l’amour peut vain­cre la lutte des sexes. Florine devra garder confiance et vaincre les épreuves pour quitter le monde des femmes et restaurer l’image dé­gradée de l’homme en délivrant le Roi Char­mant de sa métamorphose en Oiseau Bleu.


- Blanche-Neige est le plus célèbre de tous ces contes. La reine marâtre (mauvaise mère) jalouse de la beauté de Blanche-Neige, la fait tuer et mange son foie (narcissique avec introjection orale). Mais c’est celui d’un marcassin et la Reine essaie alors de la tuer avec une ceinture étouffante, un peigne et une pomme empoisonnés. Elle mourra dans des brodequins de fer rouge. Tout le monde a senti l’équivoque d’être la compagne de sept nains ou vieux mineurs à la soi-disant sexualité d’enfant. En crachant la pomme empoisonnée, elle inverse le cannibalisme de sa mauvaise mère.



L’ARCHAIQUE DANS LES CONTES

 
    La pratique des cures par le rêve-éveillé permet d’accéder à ce que l’on nomme l’Archaïque, décrit par Mélanie Klein et l’école anglaise de psychanalyse avec Winnicott. Ainsi il devient possible d’explorer les couches de plus en plus profondes de la prégénitalité et de rendre compte du corpus complet des Contes de Perrault avec ses onze contes de Ma Mère l’Oye.


1. LES SOUHAITS RIDICULES traitent du problè­me de la castration : qui a le phallus dans un couple, l’homme ou la femme ? Blaise le vieux bûcheron, a reçu à la fin de sa vie l’accomplissement de ses trois premiers souhaits. Après avoir réfléchi et un peu bu, il souhaite inconsidérément une aune de boudin. Symboliquement, c’est ce phallus et de type anal qui lui manque. Fanchon sa femme, l’injurie, et le dévirilise en lui disant que «pour faire un tel souhait, il faut être bien boeuf » c’est-à-dire castré, car c’est bien de cela qu’il s’agit. Ce qui dé­clenche chez Blaise des désirs de meurtre et il se contente de souhaiter que le boudin pende au nez de sa femme, ce qui exauce son voeu secret de posséder le phallus et d’appa­raître comme la femme phallique qu’elle est inconsciemment. Alors toute réflexion faite, il ne lui reste plus, au lieu de devenir roi, qu’à rendre à sa femme son ancien nez, ce qui se nomme dans le jeu de l’oie «retour à la case départ ». Il ne sert de rien de possé­der le pouvoir, si l’on n’a pas la sagesse.


 2. RIQUET A LA HOUPPE, en exposant le pro­blème de l’oubli, est une vraie psychanalyse. La belle conscience est oublieuse et l’incons­cient, si laid, a de l’esprit. Ceci, mis en image, donne l’histoire suivante. Une belle princesse qui a tout oublié, est si stupide qu’elle reste fixée au niveau de l’enfant qui ne sait pas encore manger proprement. Heureusement, elle connaissait la technique du rêve-éveillé «Dans le temps qu’elle se promenait, rêvant profon­dément, elle entendit...» en prêtant l’oreille, ce qui se passait par en dessous. L’horrible Riquet à la houppe (Riquet, diminutif d’Hen­riquet, le petit Henri) est le roi des gnomes sous terre, dans l’inconscient ; travaillent pour lui trente rôtisseurs qui préparent son repas de noces. Elle a, ce faisant, retrouvé sa moitié cachée, sa partie masculine, son animus. Riquet est très sexualisé avec son attribut phallique, sa houppe de cheveux dressés et les trente rôtis­seurs ont une queue de renard sur l’oreille. Et, arrivant à vaincre l’oubli, la Princesse retrouve le souvenir de sa promesse de s’unir à sa moitié masculine. Alors l’échange se fait, le dessous donne son esprit à la beauté du dessus et le dessus donne sa beauté à l’esprit du dessous, comme dans une psychanalyse. Dès que se trouve le souvenir perdu, la jonction se fait entre le conscient et l’inconscient, le féminin et le masculin, la beauté et l’esprit.


 3. PEAU D’ANE est au-delà de l’Oedipe car ce conte traite de l’inceste dans sa liaison avec l’analité. Un Roi solaire a promis à la mort de sa femme de n’épouser que plus belle qu’elle. Et il ne la trouve que dans leur fille. L’infante est conseillée par sa marraine la Fée (son Surmoi). Elle lui fait demander à son père le sacrifice d’une robe azur couleur du Temps, puis de la lumière de la lune et enfin du soleil. Le Roi, « qui l’aimait d’un amour sans pareil » y parvient et accède même à sa dernière demande d’avoir la peau de l’âne Cacauro, qui fait des écus d’or, car la source de la richesse de sa famille vient de l’analité, de cette analité qui a fait les com­merçants et les banquiers de la bourgeoisie. La Princesse épouvantée fuit alors et  régresse à l’ana­lité car le barrage de l’Œdipe n’a pas été fran­chi. Elle devient fille de ferme, un souillon nettoyant l’Auge aux cochons, dans la merde, le visage couvert de vilaine crasse, pleine d’ordure. Mais tous les dimanches matin elle revêt ses robes de lumière et le fils du roi voisin met l’oeil au trou de la serrure et voit « la bête la plus laide qu’on puisse voir après le loup », et elle a vu qu’il l’avait vue. On ne peut pas être plus crû dans le voyeurisme. Lui aussi est le fils d’une mère qui l’aimait tant qu’il aurait eu de l’or s’il avait voulu en manger. Elle lui envoie sa bague, c’est-à-dire son sexe à remplir. Par l’amour mutuel, ils échappent à la fixation oedi­pienne, à l’analité et au voyeurisme partagé.


 4. CENDRILLON expose aussi la régression né­cessaire à l’analité pour se délivrer de la mau­vaise mère. Face à la division de la mère en deux (la bonne morte et la mauvaise marâtre) la fille d’un gentilhomme doit se rouler dans la cendre de sa mère. Elle en perd sa féminité et devient « un vilain cucendron ». Elle en sort par la génitalité. La pantoufle de verre est celle qui laisse voir le pied qui est dedans ; elle aussi laisse au Prince son sexe à rem­plir. Et lorsque est retrouvé le pied pour cette chaus­sure, l’analité répand ses richesses. Marian Roalfe Cox a étudié 345 versions de Cendrillon. Dans la version de Basile, Cucendron tue sa première marâtre et l’on comprend mieux que si elle supporte tou­tes ces saletés et ces humiliations, c’est qu’elle les recherche pour expier son désir du père et sa volonté de tuer la mère. Le thème du pied fait à la coutume des petits pieds des nobles femmes chinoises, car la pantoufle de verre est aussi serrée que le vagin d’une vierge et les prétendantes se mutilent leur pied pour essayer d’y entrer.


 5. GR1SELIDIS traite de la misogynie, la haine inconsciente des femmes, et essaie de montrer comment la racine s’en trouve dans le sado-masochis­me anal. Dans la plaine du Pô, s’échappant de dessous ses roseaux, le marquis de Salusses a de sa mère l’image « d’un cruel ennemi » aussi est-il un chasseur sadique-anal. Il n’accepterait qu’une femme qui n’aurait « d’autre volonté que la mienne ». Et justement, il la rencontre dans la forêt, sous forme d’une jeune bergère, Grisélidis, la fille-nature oedipienne qui vit avec son père. Il régresse à l’avidité orale, buvant avec la bouche comme un ani­mal. Elle est masochiste et d’un total attache­ment. Pour se convaincre qu’une femme peut l’aimer, il lui impose sans cesse des épreuves, la dépouille de ses bijoux, lui enlève sa fille et lui dit qu’elle est morte. Quand leur fille a quinze ans, il renvoie sa femme à sa pau­vreté de la forêt en lui disant qu’il va épouser cette jeune fille. L’Oedipe qui n’a pu se faire sur la mère du marquis se reporte automatiquement  sur la fille. Heureusement vaincu par l’amour total et ab­solu de Grisélidis qui accepte tout, il renonce à l’inceste, à la chasse cruelle et à sa défiance envers les femmes. Il est guéri de sa misogynie.


 6. LES FEES est un récit si court que ce ne doit être qu’un passage d’un conte plus long. Il se situe en pleine oralité et semble dire que ce serait plus sûr si les bonnes paroles étaient authentifiées par la sortie de la bouche de fleurs et de pierres précieuses et les mauvai­ses paroles par celles des serpents et de cra­pauds. A travers cette simple métaphore, appa­raît la conviction pour l’enfant que tout ce qui sort de son corps est précieux.


 7.  LA BELLE AU BOIS DORMANT unit deux his­toires. La première enseigne que la fille pu­bère de quinze ans ne doit point, lorsque les parents ne sont pas là, jouer avec son fuseau (que-nouille). Cela endormirait sa génitalité et le Prince Charmant devrait atten­dre très longtemps (un temps qui semble durer un siècle) avant que s’écartent les ronces, les épines et les défenses de la vierge, pour que son corps puisse enfin se livrer à l’amour.
La seconde indique au fils qu’il doit sacri­fier sa mère à la nouvelle famille et la faire dévorer par sa propre agressivité orale (cra­pauds et vipères) sinon cette ogresse mangera ses petits-enfants (car le premier amour est de type oral cannibale).
 

8. LE CHAT BOTTE expose une cure où, pour conjurer la castration, il a fallu régresser jusqu’au sadisme oral. C’est une histoire d’hom­mes : un benjamin a été féminisé par son père. Dans l’héritage le mauvais père a donné le moulin à l’aîné, l’âne au second, et un petit chat ou châs, au dernier. Mais dès qu’il lui fait faire des bottes (dès qu’il peut avoir des érections) il est rassuré sur sa virilité et devient un Maître chat rephallisé. Cela fait surgir l’agressivité orale dans la chasse cruelle, pour faire des cadeaux au roi. Puis il doit régresser jusqu’au niveau utérin en se jetant nu dans l’eau de la mère, le lac. Alors, grâce aux ruses du chat, il peut affronter l’agressivité orale de l’Ogre, le terrible père castrateur qui accepte de se changer en lion puis en souris, vite avalée par le chat. Le marquis de Carabas reçoit alors l’héritage du bon père (le roi), de grands biens et une femme passive. Le chat, devenu grand seigneur, ne courut après les souris que pour se divertir. 


9. LA BARBE BLEUE enseigne que nul n’est parfait et qu’il ne faut pas surprendre le secret de l’inconscient de l’homme car derriè­re l’amour se trouve le sadisme et la soif du sang qui couvre le sol. L’on risque d’en être contaminé comme la clé, tachée de sang pour toujours, et à jouer avec cela, on brave la mort avec le sérial-killer. C’est l’amour des frères qui sauve du sadisme et non l’homophilie avec sa soeur Anne. Perrault n’a pas repris la scène du déshabillage qui indique que le voyeurisme-exhibitionnisme entraîne le sadisme. Mais il parle toujours de la Barbe Bleue, par cette féminisation ne s’agit-il pas de la femme à barbe, la mère phallique agressive, le loup dévorant la grand-mère du petit Chaperon Rou­ge ?


10.  LE PETIT POUCET ne peut lutter contre le sadisme oral qu’en régressant à travers l’analité jusqu’au cannibalisme primitif. Pourquoi les parents que l’on aime et dont on a besoin, vous font-ils du mal et veulent-ils votre mort ? Etre abandonné est incompréhensible pour un enfant. Les marques, jalons et repè­res (re-père) s’effacent comme les cailloux en miettes de pain. Alors les enfants tombent dans l’analité, les voilà « tout crottés et cou­verts de crotte ». Allant plus profond, derriè­re les parents infanticides ils trouvent l’Ogre, le sadisme-oral dévorateur (Kronos et Oura­nos). Ce sadisme oral peut se transmettre aux enfants (les sept petites ogresses). Poucet le retourne en intervertissant les couronnes des filles et les bonnets des garçons et les fait s’entre-dévorer, l’Ogre mangeant ses propres filles. Et il accède enfin à la virilité en dérobant les bottes (phallisation) du père-ogre-dévorateur. Il reçoit alors les richesses de l’agressivité orale et de l’analité, mais pas la génitalité avec la fille du roi. C’est le seul cas qui montre qu’il s’agit encore d’une cure d’enfant qui n’est pas achevée.

 
11.  LE PETIT CHAPERON ROUGE nous mène aux limites de la régression dans le sadisme oral féminin. Et il pose le problème universel des mères célibataires qui veulent se passer des hommes. Chez des mères célibataires, il y a trois générations de femmes. La mère et la grand-mère sont folles de leur fille et la trai­tent en garçon-phallus à tête rouge, le cha­peron rouge du gland décalotté. Le masculin est vu par elles trois comme un loup dévorant. Chez la grand-mère se trouve le masculin, l’animus de son père, qui dévore les petites filles. Le cannibalisme dévorera le sang (petit pot de beurre) et la chair (la galette). L’origine de ce sacrifice se trouve dans la découverte de la différence des sexes. « Le petit Chaperon rouge se déshabille et va se mettre au lit, elle fut bien étonnée de voir (le loup) comment sa mère-grand était faite en son déshabillé ». Le voyeurisme-exhibitionnisme précoce engendre chez l’enfant la conviction que l’acte sexuel est une dévoration. Nous sommes parvenus là à la limite de la régression, l’Oedipe prégénital oral décrit par la psychanalyste Mélanie Klein. Le petit chaperon sur le mode oral a accompli l’inceste originaire par la dévoration unifiante. Il n’y a aucun remède ; c’est le seul exemple de cure ratée de ce corpus.



source : Marc Alain Descamps


Bettelheim B. Psychanalyse des contes de fées, Robert Laffont, 1976
Desoille R. Entretiens, Payot 1973, Privat 2000.
Erny P. Sur les traces du petit chaperon rouge, L’Harmattan, 2003
Guingand M. L’ésotérisme des contes de fées, Laffont 1982
Jean G. Le pouvoir des contes, Casterman, 1981
Kaes R. Contes et divans, Dunod, 1985
Mothe J-P. Du sang et du sexe dans les contes de Perrault, L’Harmattan, 1999
Propp V. Morphologie des contes, (1928), Seuil, 1970
Rousseau R-L. L’envers des contes, Dangles, 1988
Soriano M. Les contes de Perrault, Gallimard, 1968

Publié dans concepts et théorie

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